Archives de catégorie : Analyses

La démocratie a un coût

Le « nouveau monde » emprunte parfois à l’ancien : il est de bon ton ces jours-ci de mettre les députés au régime sec, « s’occuper d’eux permettant de réduire la distanciation entre les politiques et les citoyens ». Cela ressemble fort à feue la démagogie !

Expliquer doctement que réduire les dépenses de l’Assemblée nationale de 10 millions d’euros cette année, de 15 millions l’an prochain, réduirait la méfiance des Français à l’égard de leurs représentants, c’est se moquer d’eux. Ou alors la confiance ne coûte pas cher : 3 pour 1000 d’un budget de l’Etat qui se monte à 323 milliards d’euros. Pour la totalité de leurs dépenses, l’Assemblée nationale (518 millions d’euros, dont 50 millions pour les indemnités des députés) et le Sénat (324 millions) représente 0,26 % de ce dernier. C’est moins que ce que l’Etat a dû payer pour compenser la décision de mettre fin à l’écotaxe (1 milliard selon la Cour des comptes) !

Que le Parlement participe aux efforts de saine gestion qu’impose un endettement intenable de l’Etat, rien de plus normal. Il l’a déjà fait avec un budget bloqué depuis cinq ans, ce qui correspond à une baisse de 4,6 % en raison de l’inflation. De là à montrer du doigt des parlementaires supposés dispendieux, il y un pas dangereux à franchir. Comme la santé, la démocratie n’a pas de prix mais elle à un coût. Lequel est des milliers de fois moindre que celui de la Sécurité sociale.

Les parlementaires ne sont pas trop payés ; ils le seraient plutôt pas assez. Au regard des heures de travail et de l’investissement dans leur mandat, la plupart gagneraient plus dans le privé. Le résultat d’ailleurs se fait sentir : la qualité des représentants de la nation baisse, les plus fortes personnalités se désintéressant de la politique. « La place doit être bonne puisqu’ils se battent pour y être », ironisent certains. Il y aura toujours des candidats pour gagner 5 400 € par mois, mais avec quel bagage pour faire face à l’exécutif et à l’administration ? Comme s’y ajoute une présidentialisation qui condamne les élus de la majorité à se contenter de voter les textes du gouvernement, les plus motivés vont voir ailleurs.

Président de l’UDI, Jean-Christophe Lagarde explique ainsi que les membres de son groupe se sentent très libres : « la grande majorité d’entre eux ne se représenteront pas en 2022 ». Non pas en raison d’un non-cumul des mandats dans le temps, qui ne peut être rétroactif, mais parce qu’ils « ont envie de faire autre chose ». Le renouvellement peut être un bien ; attention à ce qu’il ne prive pas le Parlement de personnalités fortes et expérimentées.

Comprendre comment fonctionne l’Etat

Et tenter de le maîtriser…

Comment fonctionne l’Etat ? Quelle marge de liberté reste-t-il aux citoyens face à une machine qui paraît s’emballer et bride le pays sous une montagne de normes ? Le monstre est-il réformable ? Pour avoir œuvré au cœur de l’appareil étatique, Patrick Gérard est un des mieux placé pour en parler. Sur 407 pages, celui qui fut recteur, directeur de cabinet de plusieurs ministres, enseignant, rapporteur général au Conseil d’Etat et qui dirige désormais l’Ecole nationale d’administration, en décrit le fonctionnement, les méandres et l’obésité. Continuer la lecture

Etat-collectivités locales : la « drôle de guerre »

« Alerte rouge ! » François Baroin le très flegmatique n’a pas craint les grands mots, ce matin, pour prévenir le président de la République et le gouvernement de la colère des élus du « bloc communal ». Et leur signifier que la « confiance perdue » ne se rattrapera pas aisément. Entre eux, ce n’est pas encore le conflit ouvert mais une sorte de « drôle de guerre » qui risque de dégénérer. Continuer la lecture

Applaudir est un art

Sidérés ! Réunis à Versailles pour écouter l’adresse d’Emmanuel Macron, les parlementaires ont semblé victimes d’engourdissement. A peine un ou deux applaudissements avant ceux de la fin, une initiative de quelques battements de mains faisant vite long feu. Ceux qui ont suivi l’évocation de « la part maudite » ne visaient pas Georges Bataille mais ont trahi une impression de fin de discours. Les propos stratosphériques du Président de la République ont eu un effet paralysant, à moins que ce ne fût soporifique.

Que « les oppositions » – un pluriel présidentiel volontaire pour souligner leurs divisions – n’approuvent pas la doxa du chef de l’Etat, rien de plus normal. Mais que les trois centaines et demie de députés et sénateurs placés sous étiquette « Macron » ne manifestent pas leur contentement surprend. C’est à eux pourtant qu’il s’est adressé en premier pour les exhorter à ne pas oublier le mandat que le peuple français leur avait donné. Comme si le chef de l’Etat craignait déjà les dérives d’une trop large majorité qu’aucune histoire politique commune ne lie. A moins que l’annonce de la prochaine disparition d’un tiers d’entre eux ne tétanise ces parlementaires destinés à se faire harakiri. Qui devra mettre la tête sur le billot ? Continuer la lecture

Confiscation

Ainsi Emmanuel Macron grille-t-il la politesse à Edouard Philippe en s’exprimant devant le Congrès la veille du discours de politique générale du Premier ministre. Les deux intéressés démentent toute intention d’humiliation. Il s’agit certes d’une application des institutions présidentialistes de la Vème République que ne renieraient ni De Gaulle ni François Mitterrand. Reste que beaucoup se sont indignés des propos de Nicolas Sarkozy sur son « collaborateur » François Fillon. Emmanuel Macron signifie que le chef du gouvernement est l’exécutant de sa politique. Il y ajoute un effet de loupe.

Ce pouvoir prétendrait-il à l’absolu ? Ce qui se passe à l’Assemblée nationale inquiète davantage que la mise en scène de la soumission du Premier ministre. La manœuvre des « constructifs » pour faire élire Thierry Solère questeur au titre de l’opposition mais avec les voix de la majorité présidentielle consacre l’hégémonie de celle-ci parmi les députés. Et remet en cause les droits des parlementaires et la séparation des pouvoirs. Quelques principes démocratiques se trouvent ainsi piétinés. Ce qui laisse mal augurer du fonctionnement futur de l’Assemblée et de la valeur des échanges qui vont s’y dérouler. L’invective risque de tenir souvent lieu de débat et l’insulte, d’argument. Continuer la lecture

Députés sous épée de Damoclès

A peine élus et déjà menacés ! Les 577 députés qui investissent l’Assemblée nationale ces jours-ci ont raison de savourer leur bonheur. Pour plus d’un cinquième d’entre eux, leurs jours sont comptés. Le Premier ministre a confirmé l’intention du président de la République de réduire le nombre des parlementaires. S’il est possible de descendre à 400 députés, s’en tenir à 450 serait déjà appréciable. Ce qui correspond à une baisse de 22 %.

Convaincue que ces élus ne servent pas à grand chose, l’opinion applaudira. Les intéressés peineront sans doute à se faire harakiri et quelques marchandages auront lieu. D’autant que l’accord du Sénat s’impose puisqu’il est question de réduire aussi le nombre des sénateurs, ce qui passe par une loi organique. Des négociations devront avoir lieu. Continuer la lecture

Où sont passées les voix de droite ?

Du premier tour de la présidentielle à celui des législatives, l’image prévaut d’un bloc de droite qui se maintient autour de 20 % des suffrages exprimés, quels que soient les aléas de la conjoncture. Image trompeuse due aux variations de la participation. Au regard du score de François Fillon, les candidats LR et UDI perdent presque 2 millions de voix, soit 4,2 % des inscrits. Au profit d’un vote en faveur de République en marche et, surtout, de l’abstention.

Selon certains sondages, 38 % des électeurs de François Fillon se seraient abstenus dimanche dernier. C’est plus que le total des suffrages manquants, mais il y a pu y avoir des mobilisations accrues sur certains candidats ou moins du rejet lié aux affaires de l’ancien Premier ministre. Cela témoigne d’une conscience des règles de la Ve République, qui visent à donner une majorité au président élu depuis que les législatives suivent la présidentielle. La droite reste gaullienne sur les institutions et accorde plus d’importance à l’exécutif qu’au législatif. S’abstenir, c’était laisser les macronistes gagner. Continuer la lecture

Oser vraiment la confiance

Pour restaurer la confiance, faut-il d’abord exprimer sa méfiance ? Le projet de loi de moralisation de la vie publique présenté ce mercredi en conseil des ministres offre un arsenal de mesures susceptibles d’éviter toute dérive chez les élus. Ce n’est pas le premier. Gageons que ce ne sera pas le dernier.

Au-delà du fait que le texte soit porté par un François Bayrou en difficulté là où il se voulait exemplaire, le corsetage des hommes et des femmes publics s’expose à l’éternelle course poursuite du gendarme et du voleur. Les règles risquent d’être contournées, entraînant d’autres mesures plus coercitives, elles-mêmes soumises à dévoiement. Surtout, ce cercle infini trahit une profonde méfiance à l’égard de ceux qui exercent un mandat politique. Continuer la lecture

Une Assemblée de godillots

Emmanuel Macron aura-t-il sa majorité absolue (289 députés) à l’Assemblée nationale ? C’est fort possible : 200 circonscriptions sont acquises ; 100 paraissent à portée de vote. Malgré la faiblesse de nombreux candidats République en marche, les macronistes figureront dans de nombreux duels pour le second tour alors que la gauche, ultra-divisée, peinera à franchir la barre des 12,5 % des inscrits nécessaires pour accéder au second tour. Avec une forte abstention (40 %), le ticket d’entrée avoisine les 21 % des suffrages exprimés.

Alliés à l’UDI, les Républicains franchiront souvent ce seuil. Ils peuvent espérer entre 140 et 180 députés, ce qui en fera la principale force d’opposition au sein de l’Assemblée. Continuer la lecture

Confusion

« Je suis un homme de gauche ». « Je suis un homme de droite ». La passation de pouvoir à Matignon entre Bernard Cazeneuve et Edouard Philippe évoquait une alternance politique franche. A l’instar de celles s’opérant lorsqu’il y a assurance d’une nouvelle majorité parlementaire à l’Assemblée. Après la présidentielle, il s’agit plutôt d’aller chercher les électeurs du centre nécessaire à cette assurance. Cherchez l’erreur…

L’objectif, cette fois, est de casser l’alliance des Républicains et de l’UDI pour attirer les élus du centre-droit. Quitte à ne donner aux autres que la solution d’une dérive vers le Front national. Bloquant les oppositions aux deux extrêmes, Emmanuel Macron y gagnerait une assurance-vie électorale, du moins tant que Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon feront figure d’épouvantails. C’est la stratégie de l’omelette dont le milieu est préservé par la coupure des deux bouts. Défendue par Alain Juppé et François Bayrou, elle a dominé la IVème République. Avec quelques succès, beaucoup d’échecs et l’appel à un homme providentiel. Continuer la lecture