Un long silence… Dû au fait que j’ai été membre du jury du concours externe de l’ENA cet automne. Réserve oblige. Mais je peux témoigner maintenant des qualités « managériales » attendues des futures élites du pays. Celles qui manquent au Premier ministre !
Haro sur les « technos », notamment ceux de Matignon ! Alors que les « gilets jaunes » ont contraint le président de la République à reculer, la macronie a trouvé son bouc émissaire : les énarques qui entourent le Premier ministre, énarque lui-même. Comme si Emmanuel Macron ne sortait pas aussi de cette ENA vilipendée. Accusation à contretemps. Valable autrefois, elle apparaît injuste aujourd’hui. Au point qu’il est permis de se demander si Edouard Philippe – et son mentor Alain Juppé – réussiraient encore au concours d’entrée.
Depuis plusieurs années, la sélection des élèves vise moins à promouvoir des « crânes d’œufs » que des « managers publics », futurs hauts-fonctionnaires ajoutant un savoir être au seul savoir. Psychorigides et arrogants s’abstenir ! Ces derniers peuvent l’emporter à l’écrit. Encore que les sujets de droit public, de questions sociales, d’économie et de finances publiques invitent à poser des problématiques plus qu’à dévider des connaissances académiques. L’admissibilité passée, il reste les épreuves orales. Celles qui désormais tentent de percer la personnalité sous le formatage des prépas.
Il ne s’agit pas d’organiser « une résistance artificielle à un stress organisé » ni de « piéger pour mettre en difficulté les candidats », selon les mots de Jean-François Monteils, président des jurys du concours 2018. Non. L’objectif est de distinguer « la diversité des qualités personnelles », « la capacité à en user », « la compréhension des grands enjeux de l’action publique ». Empruntant aux méthodes du recrutement, « l’épreuve orale d’entretien » et celle « d’interaction collective » fournissent l’occasion de traquer la motivation, la curiosité, l’empathie, le sens pratique, l’ouverture, le courage, l’éthique… des candidats.
Prétention excessive face à la carapace forgée par les années universitaires ? Certaines « mises en situation » agissent pourtant comme des révélateurs chimiques. Tel cadre supposé mène l’enquête pour savoir qui, dans son service, a fait fuité un rapport confidentiel. Sauf qu’il n’a pas à jouer à l’inspecteur de police. Certains ont déjà l’habitude d’ouvrir le parapluie ; d’autres se défaussent sur les collègues. Ou mentent de manière flagrante; un facteur rédhibitoire… A l’inverse, des exemples de « management par le sens » impressionnent le jury. « Il n’y a pas de risque à prendre des risques », martèle Patrick Gérard, directeur de l’ENA et non-énarque. Former des élites, certes, mais des élites capables de penser la complexité.
Les nouveaux venus dans la haute administration éviteraient-ils le croisement explosif de deux logiques contraires ? Celle qui pousse à la fermeture des services publics dans les bourgs où ils périclitent, obligeant à prendre une voiture pour aller à la ville. Et celle qui justifie une hausse des taxes sur les carburants au nom de la transition écologique. Le « manager » sera plus sensible à ce qui est acceptable ou pas par la population. Mais s’il peut prévenir, il ne lui revient pas de se substituer à l’exécutif. A celui-ci le rôle politique de sentir l’opinion et d’en tenir compte. Pour les vraies carrures politiques, du moins.
Chantal DIDIER